Mourir, mais pas trop

Débusquer la mort

Mourir, mais pas trop

Agnès Gruda

Boréal 264 pages

En librairie le 22 mars

Six ans après l’excellent Onze petites trahisons, qui avait remporté le prix Adrienne-Choquette et avait été finaliste au prix du Gouverneur général, la journaliste de La Presse Agnès Gruda propose un nouveau recueil de nouvelles. Dans Mourir, mais pas trop, la mort n’est pas seulement physique. C’est aussi la fin de l’enfance, de l’amour ou de l’innocence, vue par une nouvelliste de talent, en 13 textes tragicomiques à la construction implacable. Rencontre avec une auteure qui a apprivoisé le vertige de la mort.

Finalement, on peut mourir de plein de manières. 

Oui. De la même façon que les trahisons sont des formes de mort, les morts sont aussi des formes de trahison. C’est comme si mes deux livres se rejoignaient. La démarche est semblable aussi : je choisis un thème qui permet à mon imaginaire de se déployer, de ne pas partir dans le vide.

Une vieille dame qui finit par voir son neveu sous son vrai jour, un ancien amour de jeunesse qui se révèle bien décevant, un exil raté, un piano démantibulé… Chaque texte représente un peu la fin de quelque chose.

Oui, mais ce n’est pas toujours déprimant. Je tenais à une fin avec une lumière. Même dans les trucs les plus sombres, les plus durs, ça mène à une renaissance. La mort mène à une renaissance… jusqu’à preuve du contraire.

J’ai été élevée en Pologne par des parents qui n’étaient pas croyants. Quand j’ai été confrontée à l’idée de la mort, vers 7-8 ans, j’ai été complètement traumatisée. Je rêvais qu’on trouvait la pilule de l’immortalité, mais comme on vivait dans la Pologne communiste, il fallait faire la file pour acheter sa pilule, et des fois, quand j’arrivais au bout, il n’y en avait plus… Ça me donnait le vertige, ce néant.

C’est encore le cas ?

Oui, mais j’ai appris à écarter ce qui donne trop le vertige. On apprend en vieillissant à ne pas tomber dans des pensées sombres. Et je me suis faite à l’idée que la pilule pour l’immortalité ne sera pas inventée avant que j’arrive à ma date de péremption.

Pourquoi choisir la forme de la nouvelle ?

Ça va bien avec mon genre de vie. J’aimerais écrire un roman un jour, mais ça me fait peur, j’ai l’impression qu’il faut garder une constance de souffle, de construction aussi. La nouvelle est linéaire, dans le sens où l’histoire suit une seule direction. Il y a un côté concentré qui force à choisir ce que tu racontes, à aller à l’essentiel.

Je viens d’une famille de conteurs. Ma mère est une conteuse incroyable, mon père aussi. Une nouvelle, c’est comme une histoire que tu peux raconter autour d’un souper.

Beaucoup de journalistes font un petit passage vers la fiction au cours de leur carrière. Pourquoi, d’après toi ?

Pour se libérer des contraintes de la réalité. Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais… c’est sûr qu’il y a l’idée de raconter une histoire qui t’appartient. Quand on écrit des reportages, on sent des choses émotivement très fortes, mais à moins d’être Foglia, c’est difficile à exprimer dans nos textes. Moi je veux passer de l’extérieur à l’intérieur, à ce qui relève de la psychologie.

Quelles sont les qualités d’un bon nouvelliste ?

J’ai lu toutes sortes de nouvelles dans ma vie, très différentes, et qui ne ressemblent pas à ce que je fais. Mais je ne sais pas. Tu le sais, toi ?

Avoir le sens du punch, sûrement.

Ah oui, et avant j’étais sûre que je ne l’avais pas ! Ça ne veut pas dire qu’il y a une explosion à la fin cependant. Quand je lis, j’aime avoir l’impression que je suis prise par la main, qu’on m’emmène quelque part, et que la personne sait où elle m’emmène. Peut-être qu’elle ne le sait pas vraiment, mais tu as l’impression qu’elle le sait…

On pourrait peut-être parler davantage du sens de la chute ?

Oui, c’est important, les chutes, comme dans les articles ! D’ailleurs, je suis fière de mon flash de ramener le personnage de la première nouvelle dans la dernière. Ça ferme le livre, et le lecteur n’est pas laissé en plan avec une histoire pas finie. Ça lui donne l’impression d’être allé au bout de quelque chose.

Il y aura un autre recueil ?

Je ne sais pas. En terminant celui-ci, je me suis dit que j’attendrais ma retraite pour le prochain. C’est très prenant ! J’ai écrit ce livre sur deux grosses périodes, à l’été 2014 et 2015. J’ai besoin de ça, sinon je suis trop orientée actualité. Ce qui m’a le plus fascinée, quand j’ai recommencé à écrire, c’est que les affaires sont arrivées toutes seules. Ça m’a rappelé ce rêve récurrent que je fais, où je rentre dans une maison que je connais, mais où il y a de nouvelles pièces, comme une véranda tout illuminée, et c’est très agréable. Quand j’écris, c’est cette impression que j’ai. Il y a d’autres pièces dans ma maison, j’y entre pour aller voir, j’explore, je regarde. Mais ma vie ne tient pas à ça.

On sent dans ton écriture une recherche d’épuration.

Quand il y a trop de mots, j’ai comme un malaise. Des fois, en fiction, on veut prendre notre revanche sur l’écriture journalistique… Mais des mots pour des mots, ça ne marche pas, surtout dans les nouvelles. Tout doit servir, comme dans un article de journal. C’est peut-être pour ça que je suis à l’aise dans ce genre.

EXTRAIT

J’ai regardé les boutons répandus sur le sol : ils ne donnaient toujours aucun signe de vie. Ce n’étaient que de stupides boutons. J’en ai pris une poignée et je les ai projetés de toutes mes forces jusqu’au plafond. Ils sont retombés comme de gros confettis en plastique.

— Qu’est-ce que tu fabriques, tu ne trouves pas que j’en ai assez comme ça, a crié ma grand-mère.

Je lui ai tourné le dos, j’ai claqué la porte et j’ai dévalé les trois étages en courant. Les boutons avaient bel et bien fini d’agoniser. Et dans un éclair de lucidité, j’ai eu cette éblouissante révélation : bientôt, je ne serais plus tout à fait moi. Bientôt, je deviendrais quelqu’un d’autre. Je serais alors un peu mort, moi aussi.

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